On vous l'expliquait dans le précédent numéro d'In Progress : la newsletter est désormais divisée en deux. D'un côté les actus, de l'autre, un focus thématique, dans lequel nous aborderons tous les quinze jours un nouveau sujet.
Cette semaine, c'est à l'IA que nous avons choisi de nous attaquer, et plus particulièrement à ses usages en matière de cinéma et d'animation. Vous n'avez sans doute pas manqué de voir Sora, le nouveau modèle text-to-video développé par OpenAI, dont les résultats sont pour le moins impressionnants... Alors, les IA vont-elles remplacer les acteurs et animateurs 3D ?
L'IA sera-t-elle la prochaine actrice à décrocher un Oscar ?
Après 118 jours de grève, les acteurs d’Hollywood obtenaient en novembre dernier un accord historique. Parmi leurs revendications, une hausse du montant des salaires minimum, des primes, mais aussi… Une protection contre l’intelligence artificielle.
Leur crainte principale : que les acteurs soient payés une journée, scannés de la tête aux pieds, puis transformés en véritables marionnettes par les studios via l’IA. À vie, sans consentement, et sans rémunération particulière - un point qu’a réfuté publiquement l’AMPTP, un groupe qui représentait Disney, Netflix et d’autres plateformes de streaming lors des négociations.
Ces peurs ne sont ni nouvelles, ni isolées. Elles concernent à peu près tous les métiers du cinéma et de l’animation. Mais sont-elles fondées ? Faisons le point avec deux experts du secteur.
1 - Une fausse Margot Robbie et des voix de synthèse
L’idée de remplacer les acteurs du box-office par des doublures numériques, pour commencer, n’est pas absurde. Techniquement du moins, c’est une possibilité.
Eisko l'a fait pour le film I, Tonya, en plaçant le visage de Margot Robbie sur le corps d'une patineuse artistique. L'acteur Jean Gabin a quant à lui été ressuscité par Mac Guff pour une émission diffusée sur France 3. Et le résultat était bluffant. Même si les tests de cet acabit restent rares, ou ne servent en tout cas pas à substituer totalement l'IA aux acteurs.
Autre option possible : celle de transformer les acteurs en personnages animés. Le motion capture repose sur cette idée, et ça ne date pas d’hier. Gollum, la créature mythique de la série Le Seigneur des Anneaux, a ainsi été jouée par un acteur. On notera toutefois que de fulgurants progrès ont été faits en la matière.
Notre adhérent Kinetix permet par exemple à n'importe qui de générer un avatar à son effigie qui s’anime en temps réel. Comment ça marche ? Leurs outils boostés à l’IA détectent les mouvements humains d’une vidéo et les reproduisent à l’écran. Pas besoin de matériel spécifique et ultra technique : une simple caméra ou un smartphone suffisent !
Côté audio, on peut aussi citer Enginn Technologies, une autre pépite française qui s’appuie sur l’intelligence artificielle pour créer des voix sur-mesure. Ce n’est pas du clonage vocal. Le but n’est pas de reproduire celles d’acteurs existants, mais bien de générer des voix tout à fait nouvelles, en fonction de caractéristiques données. La machine fera coller le son au personnage : il sera différent selon qu’il s’agit d’un guerrier de deux mètres de haut abîmé par les épreuves de la vie et qui fume régulièrement depuis 20 ans, ou d’un petit poussin timide qui vient de fêter son deuxième anniversaire.
2 - Un engouement général
L’engouement pour ces solutions plus simples, accessibles, et qui ouvrent de nouvelles possibilités, est indéniable. Depuis sa création en 2020, Kinetix a constaté “un vif intérêt des professionnels du jeu vidéo, du cinéma et film d’animation, nous explique Alexandre Breg, responsable marketing. Notre technologie permet de faire de la motion capture à moindre coût, rapidement, et sans contrainte logistique ou organisationnelle.”
Yann Hourdel, co-fondateur et CTO d’Enginn Technologies, précise : “Il y a des applications auxquelles on ne penserait peut-être pas au premier abord. On peut penser aux producteurs qui voudraient doubler un film dans une langue où ils ne trouvent pas de traducteur dans les temps impartis, ou au doublage de voix d’enfants dans l'animation 3D.” “Les voix évoluent avec les années. Les garçons muent au bout de deux, trois saisons, et cela peut être gênant quand les spectateurs se sont fortement attachés aux personnages et à leurs caractéristiques, ajoute-t-il. L’IA peut alors prendre le relais.”
3 - Feu les acteurs ?
En dépit de la facilité d’utilisation de ces outils, ni Yann Hourdel, ni Alexandre Berg ne croient vraiment à la disparition de certains métiers de l’animation ou du cinéma. “Le métier d’animateur 3D va effectivement évoluer rapidement, et le processus est déjà en cours, admet Alexandre Breg. Mais il ne va pas devenir obsolète. En fait, l’IA devient un outil qu’il se doit de connaître et maîtriser pour améliorer sa productivité, mais aussi sa créativité. Ceux qui se poseront en spécialistes des solutions IA auront un avantage considérable sur les autres.” Son confrère illustre : “Nos voix pourraient en effet aider à mieux maquetter le son. Pendant les phases de création, avoir une voix générée par IA peut s’avérer très utile pour se rendre compte du rendu final, avant de remplacer cette voix par celle d’un acteur ou d’une actrice.”
Le métier d’animateur 3D va effectivement évoluer rapidement, et le processus est déjà en cours
Alexandre Berg, responsable marketing Kinetix
4 - Personne n'est parfait, l'IA non plus
L’IA, nous promet-on, est par ailleurs encore loin d’être parfaite. Elle peut se suffire à elle-même dans certains cas, mais nécessite souvent retouches et ajustements par des humains en chair et en os.
“Les mouvements les plus difficiles à reproduire pour l’IA sont les mouvements erratiques des yeux, lorsque ceux-ci ne se contentent pas de fixer une cible particulière, les micro-mouvements d’un corps qui ne fait rien, notamment lorsqu’un acteur attend en position quasi-immobile, et toutes les formes de contact avec le sol, les obstacles, soi-même ou autrui…”,constate Alexandre Berg de Kinetix. D’après lui, nous serions “tellement habitués” aux comportements humains, que la moindre imperfection est perceptible. Cela porte un nom : “l’effet zombie”.
Difficile - à moins d’être le producteur de The Walking Dead - d’imaginer remplacer ses acteurs par des avatars un peu mous du genou. Et pour les voix, si elles sont “suffisamment expressives pour des personnages anecdotiques”, il reste difficile d’obtenir des pleurs, des cris ou certaines émotions très fortes, avec un résultat complètement satisfaisant. “On ne sait pas encore si nous avons atteint un plafond de verre en la matière, ou si les IA manquent juste d’entraînement… Les années et l’expérience nous le diront !”, conclut le cofondateur d'Enginn Technologies.
EN CONCLUSION
. Non, l'IA ne va pas remplacer tous les acteurs dès demain.
.Il faudrait déjà qu'elle arrive à pleurer sur commande aussi bien que Margot Robbie dans Babylon.
.En revanche, l'IA a ouvert la voie à de nombreux progrès. Cela aura effectivement un impact sur les métiers du cinéma, d'une façon ou d'une autre.
Vous voulez en savoir plus au sujet des liens entre IA, cinéma et animation ? La Cinémathèque organise le 13 mars à Paris un événement dédié qui s’annonce passionnant, avec notamment Quentin Auger de DADA! Animation, qui fait partie de nos adhérents !
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