L'IGN, Inria et le Cerema préparent, depuis plusieurs mois, la création d'un jumeau numérique complet de la France. Explications.
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Le 16 avril 2025

Par bien des aspects, c'est un projet inédit. Dans les coulisses de l'IGN (l'Institut national de l'information géographique et forestière), du Cerema et d'Inria, se prépare depuis plus d'un an et demi maintenant, la création d'un jumeau numérique de la France entière, en collaboration avec un consortium public et privé - dont Cap Digital fait d'ailleurs partie.

Une réplique virtuelle du pays ambitieuse, qui servira à terme aussi bien aux acteurs publics que privés. Quels seront ses cas d'usage ? Comment fonctionnera l'outil ? Pourquoi est-ce à la fois un enjeu de souveraineté et de compétitivité ? On fait le point aujourd'hui avec trois experts contribuant au projet.

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Jumeau numérique : quand la France voit double

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L'idée de créer des jumeaux numériques n'est évidemment pas entièrement nouvelle. Ces représentations virtuelles d'un objet ou d'un lieu destinées à en améliorer les performances, l'entretien ou la surveillance par exemple, il en existe déjà des centaines en France, si ce n'est davantage. "Il y a des jumeaux numériques dans le secteur de la santé pour se représenter des organes, des copies de sites industriels, de centrales nucléaires, ou encore des doubles pour le secteur de l'animation", énumère Rudy Cambier, chef du département Innovation et Partenariats Industriels à l'IGN.

Mais le projet de jumeau numérique de la France entière et de ses territoires s'en différencie par bien des aspects.

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Rudy Cambier, chef du département Innovation et Partenariats Industriels à l'IGN.

Le pays entier dans un seul et même outil

D'abord, ce "commun numérique" représentera "la France entière". "Là où nous avions une multitude d'initiatives à l'échelle locale, celle des collectivités, des régions, etc., nous opérons une grande mise en commun des données et faisons interagir les jumeaux déjà existants", précise Jacques Sainte-Marie, chercheur mathématicien et directeur du programme numérique et environnement chez Inria. Rudy Cambier ajoute : "Beaucoup d'initiatives étaient louables, mais peu opérables ou difficiles à connecter entre elles. Résultat : certains ont un peu investi dans le vent - et créer des jumeaux numériques peut coûter très, très cher - en dépit d'une belle volonté. Cette désorganisation et l'inaccessibilité sont d'autant plus dommageables que nous avons constaté que les besoins et le marché étaient grands." 

"Ce projet implique une infrastructure qui soit particulièrement robuste", explique Jacques Sainte-Marie. Inria a joué un rôle de poids sur le volet technique pour créer un socle topographique et d'architecture numérique sur-mesure et épauler les différents acteurs en matière de génie logiciel et de sécurisation des données. Il a fallu par ailleurs veiller à uniformiser la data venue de sources diverses (données publiques, données de l'IGN, données des partenaires...) pour former un tout cohérent, en dépit des multiples sources d'information. 

Des données interconnectées et des simulations

Comme le souligne Jacques Sainte-Marie, ce jumeau numérique comporte des éléments nouveaux et s'accompagne d'outils inédits. Les interfaces sont avancées. "Ce n'est pas qu'une vision en 3D dans laquelle naviguer : on pourra y réaliser des simulations en réalité virtuelle et augmentée de phénomènes complexes, indique Rudy Cambier. On passe ainsi d'une cartographie statique à une cartographie dynamique, voire prédictive."

Pour être en mesure de façonner ce jumeau numérique, il a fallu au préalable effectuer un travail de fond sur l'interconnexion des données. Car chaque donnée pourra y être étudiée de façon indépendante, mais aussi en corrélation avec d'autres. Grâce à cela, le projet revêt un intérêt supplémentaire. Prenons l'exemple d'une épidémie. "Avec ce jumeau, nous pourrons non seulement voir où vivent les habitants des territoires, mais aussi où ils se déplacent, croiser ces données avec celles de la météo, intégrer des dimensions socio-économiques, etc.". "En ce sens, nous allons bien au-delà d'une simple représentation de la France !", nous dit Jacques Sainte-Marie, qui compare le futur jumeau numérique à "une console de jeu" avec laquelle il sera possible de multiplier les cas d'usage. 

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Jacques Sainte-Marie (à gauche) et Florent Masseglia (à droite) d'Inria.

Façonner des "laboratoires d'expérimentation"

"Des travaux de recherche existants gagneront à être intégrés et connectés dans ce jumeau numérique, indique Florent Masseglia, directeur de recherche à Inria. Ils seront nourris par plus de datas, plus de contexte, et déploieront ainsi leur plein potentiel." Le jumeau, qui se veut le plus open-source possible, sera un "outil au service de la science ouverte et collaborative, évoque Rudy Cambier, ainsi que des pouvoirs publics".

"C'est le cas pour la surveillance des risques naturels", poursuit Florent Masseglia au sujet de ces "laboratoires d'expérimentations". "Imaginons des orages particulièrement violents comme ceux survenus récemment dans le Var. Avec le jumeau, on peut déjà voir si de tels événements se sont déjà produits, et utiliser les résultats comme une base de prédiction pour en évaluer les potentielles conséquences." "On peut aussi imaginer des applications pour la santé publique, complète Jacques Sainte-Marie. Pendant le Covid, on a pu comprendre l'importance de la modélisation pour les hôpitaux et leur organisation, aussi bien que pour l'État qui devait prendre des mesures d'anticipation inédites : comment savoir qui confiner, quand, combien de temps ?"

"Les simulations et scénarios prédictifs pourraient être utilisés pour limiter l'impact de la grippe, ou pour observer les allergies, poursuit le spécialiste. Grâce à l'interconnexion des données, on pourra évaluer la pertinence de chaque politique publique de façon plus précise."

Citons aussi parmi les cas d'usage la surveillance des forêts, véritables "puits de carbone", la lutte contre l'artificialisation des sols, la préservation de la biodiversité et l'attention portée aux espèces protégées... La planification des mesures de protection de l'environnement est l'une des applications majeures du jumeau numérique, si ce n'est son fondement.

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Également au programme : les enjeux d'aménagement du territoire. Plus besoin de s'arracher les cheveux pour savoir où placer les zones d'implantation de panneaux photovoltaïques pour soutenir l'agriculture, des champs d'éoliennes, la prochaine ligne de train ou un quartier d'habitations nouvelles. Tout sera plus simple à calculer et visualiser. Un véritable "appui aux politiques publiques et un outil d'aide à la décision", estime ainsi Rudy Cambier de l'IGN.

Un enjeu de compétitivité

Les entreprises privées, TPE, PME et start-up pourront, elles aussi, largement bénéficier des avancées permises par le jumeau numérique avec un "coût d'entrée moindre", comme le constate Rudy Cambier. "Ils pourront se concentrer sur l'aval de la chaîne de création de valeur en bénéficiant d'un socle commun déjà établi, se concentrer sur leur métier et ce qu'ils savent très bien faire."

Le projet porte en cela une dimension de compétitivité. Qui plus est, pour la France, être capable de mettre en Å“uvre un tel outil, avec toute la complexité qu'il sous-entend, est un atout de poids... qui pourrait bien faire des émules à l'étranger. "Il y a une vraie volonté en France, estime Rudy Cambier, de structurer et de dynamiser cette filière du jumeau numérique et l'internationaliser."

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Et une question de souveraineté, aussi !

"La souveraineté a été au cœur de nos préoccupations sur ce projet", note quant à lui Florent Masseglia. "Il y a des outils numériques qui ressemblent un peu à notre idée du jumeau numérique : Google en fait, raconte Jacques Sainte-Marie. Mais que passera-t-il si un jour nous n'y avons subitement plus accès ? La question de laisser entre les mains d'acteurs extra-territoriaux ce type de services est majeure. Le jumeau servira pour des applications critiques : des enjeux d'énergie, de gestion des risques, de santé, de vie en société..."

En maintenant cette souveraineté, on garantit aussi aux entreprises "une certaine stabilité, une objectivité dans les données. On garde la main sur la chaîne de valeur, la sécurité des données... et on s'assure qu'elles resteront disponibles et gratuites !"

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