La nouvelle est tombée au cœur du mois de mars : le projet AI Factory France est désormais lauréat du programme EuroHPC, qui vise à bâtir en Europe une infrastructure de calcul de pointe, suffisante pour répondre aux besoins croissants de l’intelligence artificielle.
Pour le gouvernement français, c’est un choix qui “confirme l’excellence française”, aussi bien concernant l’IA que le calcul haute performance. Et pour beaucoup d'acteurs du secteur, c'est aussi une belle promesse pour l'avenir... On fait le point aujourd’hui sur les fondations de ce succès.
La révolution française du HPC
Nul n’est sans savoir aujourd’hui que les besoins en matière de puissance de calcul s’accentuent. Au départ, ils ne concernaient que quelques domaines, plutôt liés à la simulation numérique dans les secteurs de la recherche et de l’industrie. Au fil des années cependant, les cas d’usage se sont (très largement) multipliés. Notamment à cause du nombre de modèles d’IA qui a explosé.
Avec l’IA, des besoins de calcul en explosion
En France, la majeure partie des besoins en calcul intensif liés à des projets d'IA, qu'ils soient académiques ou industriels, sont absorbés par deux supercalculateurs : Jean Zay au CNRS et Adastra, installé au Centre Informatique National de l’Enseignement Supérieur de Montpellier pour le GENCI (l'infrastructure détenue par l'État, le CEA, le CNRS, France Universités et Inria, chargée de fournir des moyens de calcul et de traitement des données performants). “Lorsque Jean Zay a été mis en production en 2019, on comptait 22 projets en lien avec l’IA. Aujourd’hui, environ 5 ans plus tard, on en dénombre pas moins de 1400”, s’étonne encore Stéphane Requena, directeur technique innovation du GENCI et chair de l’EuroHPC - Infrag.
Stéphane Requena, directeur technique innovation du GENCI
Pour lui, il n’est d’ailleurs pas uniquement question de nombre, mais aussi de diversification du besoin. “Désormais, l’IA touche tous les domaines et tous les secteurs : la recherche, mais aussi le service public avec des ministères, des industriels, des start-up…” Il pourrait, dit-il, “passer sa journée entière” rien qu’à citer des projets de jeunes pousses françaises à succès qui s’appuient sur l’IA et l’utilisation de ces supercalculateurs : Mistral, LightOn, Linagora, Inclusive Brains, le “Neuralink marseillais”, et bien d’autres encore. “Ces entreprises s’intéressent à l’imagerie satellite comme à la santé, aux jeux vidéo, au retail, à la santé bien sûr, au transport autonome ou encore au sport…” énumère notre interlocuteur.
Rester souverains
Pour répondre à ces besoins tout en maintenant une souveraineté européenne et française, il faudra s’attaquer de front à plusieurs problématiques. La première - sans doute la plus évidente - est d’augmenter la puissance de calcul.
Le jour où l’Europe rattrapera les GAFAMs en la matière n’est peut-être pas si éloigné. En France, EuroHPC et le GENCI vont installer dans quelques mois un nouveau calculateur baptisé Alice Recoque, en hommage à l’une des premières chercheuses sur l’IA générative du pays. En Allemagne, on accueille déjà Jupiter. Les deux pays discutent actuellement pour “coupler ces deux machines de classe exascale et créer un mégasupercalculateur virtuel d’une puissance de 50 000 GPU pour faire du federative learning”, voire y associer à terme d’autres machines et atteindre les 100 000 GPU.
En France comme en Allemagne, deux pays particulièrement en avance en Europe en matière de supercalculateurs, il reste ensuite la question des “services”. Car la puissance de calcul seule ne saurait suffire.
Bâtir un continuum européen de services
“Lorsqu’on mène des enquêtes de satisfaction auprès des utilisateurs du GENCI, deux critères remontent, note ainsi Stéphane Requena : le nombre de GPU disponibles, mais également la qualité de l'accompagnement. Il nous faut donc faire le pari des talents pour opérer ces supercalculateur : développer des équipes de support, d’experts et expertes capables de lancer les calculs, de les ajuster, les optimiser, etc.”
C’est là tout l’enjeu du programme AI Factory France : entourer la puissance de calcul "brute" des services nécessaires à son utilisation. Formation de nouveaux chercheurs, accompagnement, expertise, connaissance, incubation et accompagnement de start-up, accès aux moyens de calcul privés et publics, aux financements dilutifs et non dilutifs, intégration dans un écosystème européen… Plusieurs angles d’attaque ont été définis. Stéphane Requena résume ainsi l’objectif final : “bâtir un continuum privé-public souverain de bout en bout en Europe.”
“Nous avons à la fois avec AI Factory France un enjeu de localité française, et d’intégration dans le ‘AI Continent’, une vision qui sera présentée plus en détails au début du mois d’avril”, confie l’expert.
Cocher toutes les cases
Pour lui, la France “coche toutes les cases” pour devenir un acteur clé du secteur sur le plan international. “Nous sommes sûrement le pays le plus en avance au niveau européen en matière de services. Nous avons une très grosse culture des besoins de l’IA, une stratégie nationale d’investissement forte, plus de 1000 start-up en IA, un large budget dédié à la formation, des incubateurs phares comme Station F, de grands industriels qui regardent l’IA de près, des clouders privés comme Scaleway, OVH ou Outscale, des think tank, des acteurs forts dans la recherche avec l’INRIA, le CEA, le CNRS… L’enjeu désormais, c’est de mettre tout le monde en musique et de coordonner leurs avancées.”
L’AI Factory France, qui fait partie des 13 premières Factories sélectionnées au niveau européen, doit démarrer progressivement cette année, pour atteindre son “plein régime” en début d’année 2026. Elle s’appuie sur un large réseau d’experts et expertes et de partenaires de tous domaines. Cap Digital en sera d’ailleurs l’un des partenaires associés et soutiens !
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