Rien de nouveau à l’horizon : l’IA déchaine les passions. En quelques mois à peine, cette technologie nouvelle a suscité fascinations, craintes, fantasmes et curiosités, notamment dans le monde professionnel. Tout le monde est concerné. Tant de métiers sont impactés. Et la menace de destruction de milliers d’emplois par l’IA (jusqu’à 800 000 emplois concernés selon cette étude du cabinet Roland Berger) est largement commentée… En revanche, la question de l’acquisition des compétences, de l’acculturation à l’IA, de la compréhension du fonctionnement des outils basés sur l’IA ou – pour le dire plus simplement – la question du « travailler avec l’IA » reste, elle, plus silencieuse… malgré un intérêt marqué de la part des principaux intéressés.
Alors, où en sommes-nous sur la formation à l’IA ? Qui doit se former ? Pour quels enjeux ? Quel rôle doivent jouer les entreprises dans tout ça ? Nous en avons discuté avec Gérard Biau, Directeur de SCAI (Sorbonne Center of Artificial Intelligence) et Mathieu Nebra, Co-fondateur d’OpenClassrooms.
IA : il y a urgence à se former… en permanence !
Depuis ChatGPT, les offres de formations à l’IA se multiplient : OpenClassrooms a lancé une formation gratuite en 3 volets pour celles et ceux qui souhaitent s’initier à l’IA, Meta et Simplonont annoncé vouloir former 30 000 Français à l’IA d’ici la fin de l’année, et Google a lancé en 2023 une flopée de formations dédiées au sujet. Sans compter les nombreuses universités françaises qui développent des cursus spécifiques, comme c’est le cas de notre adhérent Sorbonne Université, avec notamment l’ouverture en 2019 de son propre espace dédié à la recherche, la formation initiale et la formation continue : le Sorbonne Center for Artificial Intelligence (SCAI).
La formation à l’IA, c’est aussi un des objectifs de la Stratégie nationale pour l’IA lancée par le Président Macron, qui consacre 56% de ses 1,5 Md€ d’investissement au volet formation, pour « faire monter la nation en compétences, faire de la France un leader dans les domaines de l’IA embarquée, de l’IA frugale et de l’IA de confiance, et soutenir la diffusion de l’IA dans l’économie ».
Trouver le bon équilibre entre effets d’annonce et avancée technologique
De la formation grand public à la formation diplômante, l’IA a déjà investi un bon nombre de programmes pédagogiques. Former le plus grand nombre, c’est l’objectif numéro un. « Les gens ne comprennent pas ce qui est en train de se passer. Nous courons à pied derrière une fusée en pleine accélération » alerte Mathieu Nebra, cofondateur d’OpenClassrooms.
Il faut donc accompagner cette transformation et faire en sorte que chacun puisse mieux comprendre l’IA pour mettre à distance les nombreux scénarios catastrophistes nourris par la science-fiction. Pour Gérard Biau, Directeur de SCAI, « la clé, c’est arriver à former en étant suffisamment proche de l’actualité technologique sans pour autant céder au bruit médiatique. Car, sans cette invitation à la prise de recul, vous ne pouvez pas innover ». Tout est question d’équilibre.
« La compétence clé, c’est de savoir apprendre à apprendre »
Mathieu Nebra, Cofondateur d'OpenClassrooms
Pour Mathieu Nebra, « il faut réussir, par la formation, à trouver le bon dosage entre les hard skills, rapidement obsolètes, et les soft skills, moins concrètes mais plus durables. Mais la compétence clé, c’est de savoir apprendre à apprendre. C’est d’ailleurs un des cours les plus consultéssur OpenClassrooms, c’est ce qu’on appelle de la méta compétence. Nous donnons de la méthode pour chercher une solution à un problème ». En réalité, il faudrait que tout un chacun puisse être en capacité de vérifier ses sources et de développer son esprit critique face à tout ce que peuvent nous raconter les algorithmes d’IA, notamment dans le cas des outils d’IA génératives.
Se former tout au long de la vie
Pour ce faire, la question de la formation à l’IA se pose dès le plus jeune âge, afin de sensibiliser l’ensemble de la population aux fondamentaux de l’IA. Dans cette optique, Gérard Biau fait un parallèle intéressant : « de la même manière que nous savons situer nos reins et nos poumons dans notre corps, tout un chacun doit aujourd’hui être capable de voir ce qu’est un algorithme d’IA, et comprendre que ce que l’on appelle intelligence artificielle, ce n’est au fond rien d’autre que de la technologie ».
Le problème aujourd’hui, c’est que l’on se forme peu une fois sortis des études, ce qui n’est pas une bonne nouvelle quand on parle de technologies. Pour Mathieu Nebra, il faudrait trouver un modèle qui permette de se former en continu, tout au long de la vie, sur ces sujets. « Le risque sinon, c’est que la société se polarise entre les ultra-technologistes et celles et ceux qui préfèrent ignorer cette nouvelle réalité » ajoute l’entrepreneur. Pour le directeur de SCAI, la priorité doit pour cela être donnée aux étudiants : « il faut avant tout préparer la société de demain en formant les étudiants, qu’ils soient de futurs experts ou de simples utilisateurs dans leurs métiers (médecins, juristes, économistes, etc.) ».
« Il n’est plus concevable de mon point de vue qu’un étudiant diplômé de l’enseignement supérieur termine ses études sans avoir au minimum une idée générale ce que c’est l’IA »
Gérard Biau, Directeur de SCAI
Les entreprises ont un rôle à jouer
Quant aux entreprises, elles doivent pouvoir prendre le relais des formations initiales pour permettre la formation des salariés en continu et dans la durée. « Les salariés doivent se former à l’IA car les métiers et la façon de travailler sont impactés par la transformation numérique et l’IA. Les salariés doivent pouvoir suivre ces changements tout au long de leur vie professionnelle » rappelle Gérard Biau.
Dans les faits, la manière dont les entreprises abordent la question de la formation à l’IA est très variable d’une organisation à une autre. Mais pour Mathieu Nebra, ce qui est certain, c’est que « les entreprises ne sont pas encore à la hauteur des enjeux de la formation professionnelle en général, IA comprise. L’upskilling, c’est-à-dire la formation continue par petites doses régulières, ce n’est pas vraiment ce qui est en train de se passer en entreprise ».
Par contre, il observe que les individus s’y intéressent de plus en plus en mode shadow, et utilisent l’IA dans leur quotidien professionnel. « La transformation est déjà là, mais invisible, et cela pose de grosses questions en termes de sécurité des données ». Pour lui, la solution pourrait se trouver dans la réglementation : imposer par la loi un temps de formation très régulier, comme l’alternance, dans le temps de travail. « Sans cela, les entreprises ne se saisiront pas du sujet. L’impact n’étant pas direct en termes de résultats, elles ont du mal à justifier l’investissement nécessaire » conclut-il.
Former et embaucher des experts pour rester compétitif
Côté formation d’experts en IA, la France semble depuis longtemps en pole position. « On a toujours eu de bons chercheurs et ingénieurs en France, on est plutôt en avance, mais par contre, on a du mal à retenir les talents qui vont plutôt aller dans la Silicon Valley. Le contre-exemple emblématique, c’est Mistral AI avec ses 15/20 ingénieurs français, mais ça reste une exception » précise Mathieu Nebra.
Former de futurs experts et les faire évoluer dans les entreprises françaises, c’est un des autres enjeux autour de l’IA, qu’ils soient ingénieurs ou doctorants, ou les deux ? « Dans le domaine, le parcours type de l’excellence, c’est une grande école d’ingénieur, un Master 2 en IA dans une grande Université, et un doctorat dans la foulée ». Que la formation d’ingénieur et la recherche se mélangent. « En outre,une des clés pour monter en gamme dans le domaine de l’IA, c’est d’avoir des doctorats en interface, interdisciplinaires, qui concernent autant la recherche académique qu’industrielle » ajoute Gérard Biau. Autrement dit, assurer une connexion forte entre le monde de la recherche, de l’enseignement et de l’entreprise. À bon entendeur…
EN CONCLUSION
. Oui, il faut se former à l'IA, peu importe votre âge et votre métier.
.L'IA fait partie des sujets à intégrer, à des degrés divers, dans la formation tout au long de la vie en raison de l'accélération du rythme de l'innovation technologique.
.La priorité, c'est la sensibilisation des générations futures aux fondamentaux de l'IA.
.L'entreprise a un rôle primordial à jouer, et vite !