Comme nous, vous avez dû voir passer les chiffres : ce lundi 13 mai 2024, lors de la 7ème édition du sommet Choose France, Emmanuel Macron a réuni 180 chefs d’entreprises et annoncé 56 projets, 15 milliards d’euros d’investissements et 10 000 emplois créés. Parmi tous ces euros étrangers, la plupart viennent des GAFAMs (Microsoft, 4 milliards d’euros et Amazon Web Services, 1,2 milliards d’euros), et une bonne partie sera dédiée au cloud et à l’intelligence artificielle. On a voulu en discuter avec Alain Issarni, Président de NumSpot, alias l'initiative née de l’alliance entre Docaposte, Dassault Systèmes, Bouygues Telecom et la Caisse des Dépôts pour un cloud souverain et de confiance.
Oui aux investissements étrangers, mais.
Il a suffi de quelques heures seulement après les annonces d’investissements étrangers faites par le Président de la République pour qu’apparaissent de nombreux messages et débats sur les réseaux sociaux, soulignant une certaine incohérence de la part du Gouvernement. Priorité aux GAFAMs ou aux entreprises françaises ? A la souveraineté ou aux investissements étrangers ?
De l’attractivité et des talents !
Pour Alain Issarni, là n’est pas la question : “ces investissements sont la preuve de l’attractivité de la France sur le plan technologique, cela n’aurait pas de sens de s’en priver, ce serait se fermer à un monde qui va exister et qui se créera juste à côté si on ne le fait pas”. D’après l’ex-DSI de la CNAM et de la Direction générale des finances publiques, ces annonces traduisent surtout la réelle attractivité de la France en matière de talents et de croissance. Idem pour l’autre pays moteur de l’Europe, l’Allemagne, où Amazon vient d’annoncer 7,8 milliards d'euros d'investissements et Microsoft, 3,3 milliards d’euros.
Pour lui, ces entreprises, qui ont des fonds considérables, investissent massivement là où il y a des perspectives, et nourrissent la croissance par la croissance. “Pour autant, j’espère que tous ces investissements ne vont pas truster l’ensemble des talents français, et les rendre moins accessibles aux entreprises tricolores”. La dynamique des talents est d’ailleurs en train de s’inverser : avant, les diplômés européens allaient dans la Silicon Valley pour accélérer leur carrière. Aujourd’hui, ce sont les entreprises étrangères qui s’installent en Europe pour être à proximité de ces mêmes potentielles recrues, et ce à moindre coût…
Implanter des datacenters en France, c’est mieux qu’ailleurs
Microsoft, AWS, Equinix et Telehouse ont annoncé une série d’investissements dédiés à l’ouverture de plusieurs centres de données sur le territoire (Mulhouse, Île-de-France, Marseille etc.). « Il s'agit de l'investissement le plus important que nous ayons jamais réalisé » en France, a précisé le président de Microsoft, Brad Smith, dans un entretien à l'AFP, avant d’ajouter que, “ce dont la France a besoin, c’est d’infrastructures”. Le géant américain s'engage également à fonctionner à 100% en énergies renouvelables, y compris dans ses data centers, d'ici 2025. Côté NumSpot, on voit cette dynamique d’un œil prudent, mais son CEO souligne la dimension écologique de ces projets : “c’est toujours mieux de créer des data centers en France, où l'électricité est très largement décarbonée, en comparaison à des pays comme l’Allemagne ou la Pologne”.
Et la souveraineté dans tout ça ?
D’après Alain Issarni, la prudence se situe plutôt sur les questions de souveraineté. “L’idée n’est pas d’interdire aux GAFAMs ni aux chinois d’investir en France, mais de rester vigilant sur le fait que cela ne devienne pas un moyen de détourner les règles en vigueur en Europe”, précise-t-il.
“Leurs offres ne sont ni souveraines technologiquement ni juridiquement, puisqu’elles sont soumises à des lois extra-territoriales”
En effet, il ne suffit pas d’avoir une infrastructure en France ou en Europe pour assurer la protection des données vis-à-vis des services de renseignements étrangers. Idem pour les entreprises créées en Europe : si elles sont détenues à un pourcentage élevé par des entités étrangères, les lois extra-territoriales continuent de s’appliquer. C’est d’ailleurs pour cela que les exigences de sécurité des données (et donc de souveraineté) nationales (SecNumCloud) et européennes (projet de loi EUCS, pour European Union Cybersecurity Certification Scheme for Cloud Services) font autant débat.
Les données stratégiques et sensibles nécessitent une attention particulière
“Il y a une grosse inquiétude selon la sensibilité des données : il faut une immunité juridique aux lois extra-territoriales” ajoute Alain Issarni. Pour lui, “créer des data centers en France ou en Europe, c’est bien, mais il ne faudrait pas que ce soit la rampe de lancement pour considérer, qu’ensuite, toutes ces initiatives soient tout naturellement des offres souveraines. Il y a des données qui méritent une attention particulière, et il faut rester vigilant pour continuer à développer des offres qui permettent d’assurer la confidentialité technique et juridique de ces données particulièrement sensibles”. D'où le SecNumCloud et la possibilité d’offrir un service complémentaire certifié pour les données qui ne peuvent pas aller chez ces acteurs étrangers.
Le représentant de NumSpot souligne par ailleurs le soutien primordial du Gouvernement sur ces questions, qui, en plus de ses actions politiques, a lancé en mars dernier un appel à projets pour renforcer l’offre française et européenne de services cloud au profil de la souveraineté numérique et de l’IA.