C’était mon tout premier SIGGRAPH et, coup de chance, ce baptême est tombé pile pour les 50 ans de ce rendez-vous mondial des Computer Graphics et des technologies de l’interactivité. Après trois ans d’absence, Cap Digital a tout fait pour relancer son Pavillon France à l’occasion de cette édition anniversaire. Un pari gagnant qui a directement propulsé la France à la première place des pays les mieux représentés sur l’exhibition floor du SIGGRAPH.
Mais il y a aussi beaucoup d’autres choses à retenir de cet événement unique à bien des titres. Tour d’horizon – forcément subjectif – de ‘mon SIGGRAPH à moi’. Où mon regard de jeune premier croise l’analyse de pionniers bien plus expérimentés (qu’ils en soient d’ailleurs remerciés !).
Embarquement immédiat.
1 - Le SIGGRAPH n’est pas un salon, c’est une communion
‘This is my home, here are my people’, en une simple phrase prononcée lors de la conférence Fast Backwards, Ken Perlin, professeur en computer science à NYU et père du procedural texturing, résume parfaitement l’esprit du SIGGRAPH. Car visiter le SIGGRAPH, c’est oublié tout ce que l’on sait, ou ce que l’on a déjà vécu, lors d’événements et salons professionnels. D’abord, car le SIGGRAPH c’est une incroyable variété des formats et d’expériences proposés (Technical papers, Real time live, Bird of feathers, Emerging technologies, Electronic theater, Art Gallery, VR Theater, Posters, awards, immersive pavillon, exhibition, etc.), mais aussi - et surtout - car au SIGGRAPH se rejoignent arts, créativité, technologies et business, le tout, dans une atmosphère de camaraderie, de grande humilité, de joie de se retrouver et d’amour de la science.
2 - 50 ans et toujours pionnier
Derrière les gâteaux et les paillettes inhérents à tout anniversaire, cette édition posait finalement un sacré challenge : comment célébrer l’héritage et l’esprit pionnier du SIGGRAPH tout en gardant les yeux rivés sur le futur des Computer Graphics et des technologies de l’interactivité ? De ce point de vue, le pari est parfaitement rempli avec des nombreuses séquences « nostalgie » (conférences, rétrospectives, expositions, etc.) qui servent toutes le même message d’avenir pour le SIGGRAPH. À savoir, continuer de miser sur les ingrédients qui ont fait le succès de l’événement (se placer toujours à l’intersection de l’art et de la technologie ; développer des technologies ‘beautiful & functionnal’ pour anticiper au mieux les usages qui en seront fait, etc.) tout en soulignant les défis qui restent à relever, notamment dans le domaine de la mixité, de la diversité et de l’inclusion (et sur ces enjeux, un simple coup d’œil à l’assistance prouve qu’il reste du chemin à parcourir).
Il est de notoriété commune que la France regorge de talents dans le domaine de l’informatique graphique, de la VR, l’XR, l’animation, du rendering etc. Mais il est toujours bon d’en faire la preuve. Objectif atteint cette année : avec 13 entreprises exposantes, la France est (de loin) le pays étranger le plus représenté sur l’espace d’exposition ! Un succès amplifié par la construction d’un Pavillon France installé au cœur du salon, à côté des leaders du secteur (Méta, Maxon, Adobe, Autodesk, etc.). Sur cet espace de près de 40m²,9 entreprises françaises ont présenté leurs innovations et services, dont 5 exposaient pour la toute première fois au SIGGRAPH. Précisons ici que ce Pavillon réalisé par nos soins n’aurait su voir le jour sans le soutien du CNC(qui apporte une aide financière aux entreprises exposants sur un espace collectif).
Ajoutons aussi que tous les exposants français ont pu s’entretenir avec Nathalie Soirat, Consule Générale adjointe de France à Los Angeles, qui nous a fait l’honneur et le plaisir de sa visite. Cherry on the cake, la formule pourrait faire des émules. C’est en tout cas la volonté d'Andres Burbano, le Président du SIGGRAPH 2024 avec qui nous nous sommes longuement entretenus et à qui nous avons livré quelques-uns des ingrédients de notre succès (à écouter dans un des prochains épisodes dupodcast du SIGGRAPH).
4 - Trois trending topics relevés dans notre radar
Les NeRF - pour Neural Radiance Fields, le sujet chaud (auquel on n’a pas tout compris…) Comme son nom l’indique, cette technologie repose sur les réseaux de neurones et permet – dans les très grandes lignes – de générer des représentations 3D d’objets ou de scènes issus d’une image en deux dimensions. Et parce qu’une vidéo vaut souvent mieux qu’un long discours, on vous invite à jeter un coup d’œil à celle postée par Jon Sykessur le sujet (juin 2023).
L’haptique, la nouvelle frontière des technologies immersives. Il suffisait de passer quelques minutes dans l’exposition ‘Emerging Technologies’ (qui rassemblent les démos de solutions innovantes développées dans des labos de recherches universitaires ou privés) pour s’en convaincre : l’haptique est partout et ses usages seront déterminants pour emmener le monde de l’immersion au niveau supérieur. Du jetpack haptique à l’origami connectée, on a listé ici quelques-uns des projets les plus impressionnants.
Beyond the fake, les Computer Graphics s’attaquent au réel. En plaçant la thématique des Material World au tout début de la conférence Fast Forward Papers (qui présente en 2h et de façon ultra-synthétisée les centaines de papiers scientifiques présentés au SIGGRAPH), le comité de programmation envoyait un signal : la question de la représentation virtuelle et du rendu 3D ultra fidèle de matériaux réels (les fameux ‘PBR’ pour Physically based rendering) est au cœur des hot topics ! Et ce n’est pas le succès rencontré par notre exposant Matereal, sur le Pavillon France, qui risque de contredire cette tendance.
La question de la représentation virtuelle et du rendu 3D ultra fidèle de matériaux réels est au cœur des hot topics !
5 - ‘The more you buy, the more you save’ Quand NVIDIA fait son show
Au SIGGRAPH, NVIDIA est partout : premier sponsor, plus grand stand, tour de cou aux couleurs de la marque pour tous les participants, etc. Rien de surprenant quand on connaît la qualité des cartes graphiques proposées par l’entreprise américaine et la notoriété qu’elle a acquise dans le calcul pour l’IA ou le calcul haute performance (HPC). Pas étonnant donc que NVIDIA soit partout, ni même que Jensen Huang, son CEO, y propose l’une des conférences les plus attendues de l’événement. Planifié dès potron minet (à 8h du matin le 8 août pour permettre à ses équipes de marteler que l’on se retrouve à « 888 »), le ‘Jensen Show’ s’est notamment focalisé sur les enjeux de l’IA générative avec l’annonce du lancement d’une plateforme Nvidia GH200 Grace Hopper de nouvelle génération.
La diplomatie de l'éclipse, court-métrage d'animation réalisé par César Luton remporte le prix Best in Show du SIGGRAPH 2023.
6 - La France a tout prix
Cocorico². La France s’est également démarquée par les nombreux prix et reconnaissances accordés à des projets tricolores, aussi bien sur les terrains scientifique, que technologique ou créatif :
A l’Electronic Theater, le court métrage d’animationLa diplomatie de l’éclipse, réalisé par César Luton, étudiant à l’école MoPA d’Arles, décroche le graal. A savoir le prix Best in Show qui lui ouvre directement la qualification pour la prochaine cérémonie des Oscars ! Bravo également à Marie Bordessoule, Elisa Drique, Solenne Moreau, Adriana Bouissié, Vincent Levrero, Nadine de Boer et Chloé Lauzu, tous étudiant.es de l’ESMA, qui remportent le Best student project avec leur film Swing to the Moon.
Du côté des publications scientifiques, félicitations à l’équipe Inria / Université Côte d’Azur / Max-Planck-Institut für Informatik (Bernhard Kerbl, Georgios Kopanas, Thomas Leimkuehler et George Drettakis) qui s'est vue décerner un Best Paper Awards pour sa publication '3D Gaussian Splatting for Real-time Radiance Field Rendering'
Enfin, saluons le projet autrichien Action Origami Inspired Haptic Devices, qui, dans le cadre du partenariat noué par le SIGGRAPH et Laval Virtual, a été sélectionné pour la prochaine édition de Laval Virtual (du 12 au 16 avril 2024) !
Fréquentation : un événement en demi-teinte ?
Dès notre arrivée, la veille de l’ouverture de la conférence, les habitués du SIGGRAPH nous avait fait part de leur étonnement : pourquoi cette édition ne se déroule que dans le Hall Ouest du Convention Center de Los Angeles ? D’ordinaire, le SIGGRAPH s’installe dans les hall Sud ET Ouest. À l’ouverture de l’exhibition floor, l’inquiétude se fait plus importante : il y a peu d’exposants cette année. Ou tout du moins, la surface qu’ils occupent est plus restreinte que par le passé. Même lors de l’édition de 2022 à Vancouver (pourtant proposée en « mode hybride »), l’exhibition floor semblait plus imposant…
Une petite musique s’est alors fait entendre dans les allées : le SIGGRAPH serait-il en perte de vitesse ? Ou est-ce plutôt l’explosion des coûts de l’événementiel, dans des Etats-Unis post-covid qui cherchent à se refaire une santé, qui ont imposé cette cure d’amaigrissement ?
Au final, difficile de trancher. À regarder dans l’histoire récente du SIGGRAPH, cette édition 2023 est une belle réussite avec 14 275 participants, issus de 78 pays. C’est bien mieux que les 11 700 participants réunis l’année dernière. Mais ce SIGGRAPH millésimé nous invite évidemment à regarder plus loin en arrière. Et là, le constat peut être un peu plus amer : la fréquentation 2023 est par exemple sensiblement en dessous de la dernière édition organisée dans la cité des anges. En 2019, le SIGGRAPH de L.A. avait réuni 18 700 visiteurs.
Autre temps, autre monde me direz-vous. Il s’agit sûrement d’observer quel sera le succès de la prochaine édition, aussi bien en termes d’audience globale que de nombre d’exposants et de rayonnement international. Et pour cela, rendez-vous à Denver, Colorado, le 28 juillet 2024 !
En bref (et en décalé)
La soirée qu’il ne fallait pas manquer : la RenderMan teapot party durant laquelle les équipes de RenderMan / Pixar ont distribué leur dernière teapot, aux couleurs du film Elémentaire de Pixar. Il faut savoir que, parmi tous les nombreux goodies distribués au SIGGRAPH, les teapots de RenderMan font figure de graal absolu ! Au point de disposer d’une expo dédiée au sein du Blast from the past (la sélection des démos et objets emblématiques des 50 derniers SIGGRAPH).
L’inattendu : à moins d’une heure de la fermeture du SIGGRAPH, un participant geeko-romantique s’est jeté dans le bain. En plein cœur de l’Experience hall, il a posé un genou à terre pour demander sa partenaire en mariage, dans le plus pur respect de la tradition américaine. Je n’étais pas sur place, mais je peux vous assurer de sources sûres et concordantes que l’intéressée ne s’est pas défilée. Le public alentour a même pu scander une demande de bisous en public… This is America.
Los Angeles en grèves : il y a bien sûr celle des scénaristes à Hollywood, mais aussi, celle lancée par les salarié.es de l’hôtellerie. Des milliers d'entre eux se battaient durant le SIGGRAPH pour la revalorisation de leur salaire face à une inflation galopante. De 4h du matin à 23h, ils étaient mobilisés, au pied de chaque hôtel pour faire entendre (bruyamment) leurs revendications. Depuis, la mobilisation a fait tache d’huile, les employés municipaux ont rejoint le mouvement de ce que l’on nomme désormais le Summer of Stikes.
Et voilà pour le SIGGRAPH. On vous emmène où la prochaine fois ?
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